mercredi 11 juin 2014

Rencontre avec Tamara Laï | Interview réalisée par Lieben Thomas & Sigaud Mélanie



Thomas Lieben : Pourquoi avoir choisi le numérique comme support artistique?

Tamara Laï : Je venais de la vidéo (vidéo culturelle, art, doc de création,...) mais j'ai bien senti un moment donné qu'il était temps, que le vent tournait. Il était temps que je me recycle et que je me forme justement à ces nouvelles technologies et c'est ce que j'ai fait en 93. Je l'ai fait à titre professionnel d'abord et disons que personnellement j'ai du mal à séparer l'un de l'autre qui évoluent toujours en parallèle, l'un nourrissant l'autre. Donc j'expérimente à titre personnel sous forme d'œuvre. J'ai des exigences, en tant qu'artiste, très professionnelles, je suis très exigeante (rires). Donc pourquoi mais simplement parce que c'était dans l'air du temps et que d'ailleurs ça s'est confirmé.

T : Votre créativité évolue-t-elle également avec le numérique puisqu'il s'agit d'un médium extrêmement versatile?

TL : Oui tout à fait. J'ai beaucoup développé le côté collaboratif  (projets collaboratifs, participatifs,...) c'est-à-dire en lançant des appels non-nominatifs via le web en utilisant ce qui à l'époque étaient déjà des réseaux, pas comme on les connait maintenant mais c'était déjà la base. Et donc via tous ces forums, je lançais des appels aux artistes internationaux confirmés ou émergeants, débutants, non-artistes d'ailleurs, c'était très ouvert. Et euh... j'ai oublié votre question ! (rires)

T : C'était "Votre créativité évolue-t-elle également avec le numérique puisqu'il s'agit d'un médium extrêmement versatile?"

TL : Oui et donc j'aime bien maîtriser toutes les étapes, aussi bien en vidéo que dans le numérique. J'aime bien maîtriser un maximum d'étapes ce qui veut dire que je me suis intéressée voire formée aussi bien à l'infographie en 2D qu'à la 3D donc fixe ou en mouvement, linéaire et l'interactif. Que ce soit le GIF, GIF animé, tout ce qui est Photoshop, traitement d'images... Donc oui j'ai vraiment suivi le mouvement y compris le java script donc j'ai vraiment fait en sorte – et puis ça m'intéressait aussi, c'est amusant même si c'est difficile – de suivre le mouvement. Ça ne m'a jamais effrayée, bien sûr il y a des obstacles, bien sûr il y a tout le temps l'inconnu mais quand j'étais réellement face un obstacle qui me semblait insurmontable pour moi en partant de mes acquis, mes capacités – puisque la programmation ce n'était pas dans mes attributions du tout –j'essayais de trouver des tangentes, de contourner avec le côté créatif que cela implique. Quand c'est trop facile, on n’invente rien donc c'est justement en butant contre des choses qu’on cherche des astuces et ça devient original.

T : Mais je suppose que ça s'est facilité au fil des années, puisque les outils ont aussi évolués ?

TL : Oui c'est ça mais je veux dire là maintenant j'ai développé, réalisé, maintenu des sites web entre 97 et 2010. J'ai vraiment essayé d'en explorer toutes les facettes et puis là maintenant ça ne m'amuse plus, tout simplement. Il existe toutes sortes d'outils super intéressants, clé en main, gratuits, qui permettent plein de choses alors... on va pas se fatiguer. J'utilise wix, j'utilise des choses comme ça. Voilà, c'est fait, c'est même plus intéressant d'utiliser ce qui existe et qui est très bien fait.

T : Est-ce que pour vous l'art contemporain se doit d'être moderne, c'est-à-dire, vu que l'art contemporain essaie beaucoup de nouvelles choses – surtout des expériences – est-ce que justement on devrait privilégier des supports comme le numérique plutôt que la peinture ou autre?

TL : Non, pas du tout, en ce qui me concerne. La preuve, quand je suis revenue à la vidéo... Bon, j'ai mon caractère et je n'aime pas suivre bêtement le mouvement qui dit que justement maintenant il faut que tout soit numérique. Je me suis dit "Oui, c'est bien rigolo, mais à la fin tout se ressemble", parce que peut-on réellement se donner les moyens de faire des choses originales, innovantes puisqu'on l’a fait beaucoup. Et puis j'ai l'impression qu'il y a beaucoup de redondances et donc j'ai pris le parti de faire exactement l'inverse, de faire de la vidéo avec des images on ne peut plus dépouillées, avec un minimum de traitement pour que tout soit dans l'image, dans le contenu. Pour que ce soit plus dans le rythme, dans le rapport image/son/rythme sachant très bien que, évidemment, j'allais complètement à contre-sens de ce qui se fait mais je me suis dit tant pis je fais ce pari là et je veux que mon travail interpelle tel quel, sans faire appel à des effets spéciaux ou un minimum en tout cas. Et bien ça fonctionne donc non, je ne suis pas pour le tout numérique et je pense que quand c'est trop plastique d'ailleurs il manque quelque chose. Ça ne veut pas dire qu'on doit privilégier l'un au détriment de l'autre, ce qui fonctionne très bien c'est quand il y a un peu de tout, un équilibre mais c'est difficile, c'est du boulot.

Mélanie Sigaud : Dans votre biographie, vos œuvres sont définies comme étant basées sur le principe de proximité à distance, qu'entendez-vous par là?

TL : C'est ce qui se passe maintenant, c'est ce que vous vivez tous, vous les jeunes. C'est être à l'autre bout du monde et être en connexion permanente. C'est un peu cette espèce d'utopie du principe d'ubiquité, être dans deux lieux à la fois (le lieu physique et le lieu virtuel). Maintenant par rapport aux réseaux sociaux tels qu'on les connait il faut bien dire que nous, les artistes numériques, on a jeté ces bases là et quelque part – je  vais peut-être être un petit peu méchante – mais quand je vois – je ne suis pas très réseaux sociaux, justement peut-être parce qu'ayant vécu ça beaucoup à l'époque où la bulle d'internet à exploser c'est-à-dire autours de l'an 2000 – comment ça se passe sur Facebook, n'importe qui s'improvise artiste à force de liens, de photos et de partage nous les artistes web ça nous fait doucement sourire parce que je comprends que la tentation soit là mais...

MS : Dans la biographie à nouveau il est noté "Où l'art est social et que le social est art", pensez-vous qu'il est important pour l'artiste contemporain d'avoir une approche sociable avec le public?

TL : Non, pas du tout. Mais disons qu'il faut replacer ça dans le contexte de l'époque, c'est-à-dire il y a 15 ans à peu près et à l'époque effectivement il y avait cet aspect social, pas dans le sens politique du terme. C'est-à-dire qu'une œuvre fonctionnait à partir de l'apport et la conjugaison de toutes sortes de personnes venant de toutes sortes d'horizons différents, avec des niveaux différents, des expériences différentes, etc. Et c'est cette œuvre social en fait qui était l'œuvre d'art donc dans ce contexte là, ça a un sens. Là maintenant, en tout cas à mon niveau, ça n'en a plus.

T : Pouvez-vous nous en dire plus sur votre œuvre Looking for Qi ?

TL : (Rire) Alors ça, c’est une longue histoire. Ça parle de ma passion pour les arts martiaux chinois et le Taoïsme qui est une philosophie et un idéal de vie qui est devenu religion et qui puise ses racines dans le Shamanisme. C’est réellement la base de l’esprit chinois. Cela prône un équilibre Yin-Yang. Un équilibre corps-esprits. Les arts martiaux chinois sont donc basés là-dessus et sont censé favoriser la bonne circulation de l’énergie vitale. Je pratique les arts martiaux chinois depuis maintenant 14 ans et ce Looking for Qi c’est ce voyage que je peux réellement dire initiatique, je le voulais comme cela, en chine et plus particulièrement dans une école d’arts martiaux.

T : L’œuvre est séparée en plusieurs parties, pourquoi cela ?

TL : C’est la façon dont je fonctionne, il y’a toujours ce côté reportage relativement neutre et puis le côté interprété avec différents outils artistiques. Il y’a donc un côté plus théorique dans lequel j’essaye d’apporter des clefs et puis j’interprète (rire). Alors pourquoi la séparation ? Eh bien, c’est plutôt arbitraire.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire