mercredi 11 juin 2014

Rencontre avec Sophie Langohr (Andaloussi Amira, Cristofalo Naëlle et Toussaint Laura)

Nous avons remarqué que les visages que vous prenez sont en fait des visages que l'on voit dans des pubs de marques. Pourquoi avez-vous fait un lien entre ces deux arts ?

Tout d'abord, il faut savoir que ces statues-ci viennent de l'ancienne prison Saint-Léonard qui n'existe plus.

*Elles viennent toutes de la prison ?
Non, d'autres viennent d'églises désaffectées autour de Liège, les statues sont stockées dans la réserve du Grand Curtius, car ce n'est pas un art muséal. Elles appartiennent à la culture religieuse de la fin du XIXème siècle. On appelle cela un art saint-sulpicien. Je suis allée les cherchés dans l'Eglise Saint-Gerard dans laquelle il y a une réserve. Ce n'est pas comme l'art baroque, c'est un art qui n'est pas reconnu par le monde muséal parce que c'est un art de grande distribution. Il est très critiqué et a été repoussé par le Vatican II sous prétexte que c'était vraiment trop sentimental, trop kitsch. Que ce soit les amateurs d'art, les historiens de l'art ou quoi que ce soit, ils ne voulaient plus de cet art là. En rapprochant cela avec l'imagerie publicitaire actuelle ça a un sens aussi vu qu'il y a beaucoup de paillettes etc.

J'ai donc d'abord commencé a photographier des sculptures en gros plan, mais uniquement leurs visages pour éliminer tous les attributs religieux (les croix, les roses, les couronnes, l'immaculée conception). Je me suis intéressée aux figures très stéréotypés de la femme, les maquillages etc. Par exemple, c'est toujours la même femme qu'on dessine lorsque l'on est enfant c'est-à-dire deux yeux un nez, une bouche. Tout comme dans la publicité, c'est pour cela que je me suis concentrée sur le visage tout en laissant de petits bouts de voile. J'ai cherché des images dans la publicité sur internet qui est aussi un art de reproduction comme les statues de saintes. Certaines sont pareilles par le moulage, c'était seulement la peinture qui les différenciaient.

*Nous croyons avoir reconnu une des stars, Marion Cottilard.
De fait, au premier regard, on ne sait pas directement reconnaître les stars. Je choisis des stars connues comme des stars de défilés qui sont représentés avec des yeux de poupées. Ensuite, j'ai cherché une image sur internet qui ressemblait le plus au visage de la sainte et puis j'ai essayé de faire tout pour qu'il y ait une même esthétique, même lumière, même couleur, même maquillage. Pour moi, internet est une poubelle d'image dans laquelle on peut prendre ce que l'on veut et les statues sont elles aussi considérées comme des poubelles puisque personne n'en veut, on peut le voir sur les visages des statues par l'état de la peinture étant donné qu'elles n'ont pas été restaurées. J'ai reprit les visages des égéries, puis je les ai transformés au niveau des pixels pour former une image publicitaire afin que ce se soit une copie conforme même s'il y a quand même des détails qui restent et qui ne sont pas semblables, comme les dents, car je ne veux pas la perfection. Ce n'est pas un truc de Photoshop où on rend vrai, je n'ai pas essayé de rendre humaine la sculpture. Je me suis concentrée sur l'intérieur du visage, tout ce qui est autour je l'ai laissé tel quel pour avoir une trace du Photoshop et des collages. Ça m'a pris beaucoup de temps pour trouver les photos qui ressemblaient aux vierges, un an et demi exactement pour finir cette série.
Ce qui est amusant avec les mannequins quand on ne fait pas partie du domaine c'est qu'il s'agit de filles très connues puisque maintenant le monde de la publicité engage de plus en plus d'actrices. Le monde de la pub se donne de plus en plus un côté Arty. L'art sert alors à anoblir une démarche mercantile donc c'est quand même une démarche très commerciale et comme il y a l'art derrière ça lui donne une plus valu. Quand Marion Cotillard pose pour Dior, elle porte derrière elle tout son talent. Kate Winsley est l'actrice la plus retouchée, donc pleins de photos d'elle sont sur internet et elle n'est jamais la même et un jour elle s'est énervée. Sur mes œuvres, on peut clairement voir que ce n'est pas vraiment réaliste. Quand on compare celles-ci et celles sur internet, celles-ci (les siennes) sont moins Kitsch. Les gens se laissent porter par le Kitsch, ils aiment ça, ils sont portés par le parfait etc. Parfois, il y a du texte sur les images que je prends sur internet et alors je le laisse.

Faire revenir cet art là comme culture muséal est un renouveau pour l'art saint-sulpicien. De même que faire venir des publicités dans des musées peut rivaliser avec des images sacrées. Dans l'art il y a une sorte de sacralisation de l'objet, de l'image, qui lui donne une plus valu. Au premier abord, la ressemblance est frappante et c'est ce que je voulais parce qu'il y a quand même un siècle de différence entre les deux images.

*Vous avez quand même garder les mêmes yeux ?!
La forme des yeux oui, tout est copié au pixel près, on peut mettre les images l'une a côté de l'autre et elles se ressemblent, mais pas assez pour que ce soit bluffant et que les gens soient surpris et ça, c'est de l'art plastique.

C'est en quelque sorte une chirurgie de l'image. Toute la technique c'est ça, du Photoshop et j'ai remis une couche sur ça parce que ce sont des visages qui sont déjà retravaillés, on dirait des poupées. Mais tout est faux que ce soit l'une ou l'autre. L'art saint-sulpicien était un art de conquête qui devait plaire, devait attirer les gens comme on vend maintenant les parfums avec les égéries. C'était tout un commerce.

*Pourquoi avoir choisi ce thème là ?
Pour qu'on soit libéré de la religion. Au niveau de la croyance, on va croire en la sainte, mais on va aussi croire en la publicité. Et dans la religion il y a une morale. Ce qui m'intéresse c'est interroger, qu'est-ce que la morale de la religion et de la pub, est-ce que la femme est soumise ? Les modèles actuels c'est une femme libre, libérée de la religion dans un monde d'hommes, mais avec ce matraquage publicitaire on voit quand même beaucoup de clichés, de stéréotypes d'une femme soumise. On a qu'à écouter une interview d'une star, on va souvent entendre ses rituels beauté, comment elle se maquille, comment elle s'occupe de ses enfants, au lieu de parler de son art, comment elle se pense dans la société et donc ça véhicule quand même toujours des clichés qui sont rétrogrades. On voit toujours dans les médias, la minceur, la chirurgie esthétique, il faut qu'elle soit tout le temps parfaite. Et tout le monde se laisse prendre par cette dictate du corps, ce culte du corps, en particulier féminin.


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