mercredi 11 juin 2014

Retranscription de l'interview de Marie Zolamian (Examen Juin 2014 - Pauline Gillard, Marion Dantinne)

Marion et Pauline : Bonjour

Marie Zolamian : Bonjour

M & P : Pourquoi créer une œuvre telle que celle réalisé sur le fort de Flémalle ?

M.Z : Il y a eu un appel à projet de la région wallonne, qui devait sélectionner trois œuvres contemporaines dans l’espace public. J’ai proposé un projet en collaboration avec des partenaires à Flémalle car j’avais déjà travaillé là-bas, il y a trois ans. J’ai remis un projet qui parlait de la guerre 14-18, et avec la gravure je voulais évoquer l’attente dans cette guerre. Elle a duré très longtemps et les quatre années ont parues très longues. Les gens n’avaient aucune information, ils ne savaient pas ce qui se passait. L’attente dans les tranchées, et l’attente en général a été quelque chose de très significatif. Les gravures parlent aussi du nombre de morts, des victimes. La notion de gravure intervient aussi dans l’art des tranchées. Durant la guerre, les soldats qui attendaient dans les tranchées ont commencé à graver dans des armes et des douilles. Il y a toute une série de pièces, qui se retrouvent maintenant  sur « eBay ». L’art des tranchées m’a beaucoup interpelée. Cette œuvre c’est aussi retourner l’intérieur vers l’extérieur, car la tour dépend du fort de Flémalle et y est relié par un tunnel sous-terrain. Il servait à aérer le fort. Pendant la première guerre, ils n’ont pas tenu longtemps, et après 4-5 jours ils ont dû l’abandonner, parce qu’il n’y avait pas encore de tours d’aération et donc pas de ventilation. Ils ont suffoqué car des bombes sont tombées. A la sortie de la guerre, ils ont découvert dans un fort à Loncin, je crois, une aération/ventilation automatique et ont multiplié ce système-là. C’est donc une œuvre permanente à Flémalle.

M&P : Pourquoi avoir choisi de travailler sur le thème de la guerre 14-18 ?

M.Z : C’est quelque chose qui me tient à cœur. Comme vous le savez peut-être je suis d’origine libanaise, et je suis arrivée en Belgique quand j’avais 15 ans, donc j’ai vécu la guerre du Liban. Et quand j’ai voulu travailler sur ce thème-là, je confondais un peu la notion de guerre, et c’est ça qui m’intéressait aussi de ce côté-là. Mais en plus, cette œuvre a été réalisée dans le cadre de la commémoration de la guerre 14-18. Je voulais élargir la chose en signifiant les horreurs qu’il peut y avoir, mais aussi dans les deux camps, pas juste d’un point de vue. C’est vraiment quelque chose de plus large.

M&P : Donc la tour a été construite après la première guerre mondiale ?

M.Z : Oui voilà, après la première guerre mondiale.

M&P : Donc vous ce que vous avez fait, c’est graver ces lignes ?

M.Z : Voilà, exactement.

M&P : Donc c’est gravé, ce n’est pas dessiné ?
                                
M.Z : Non non, c’est gravé. C’est un graveur de Flémalle en fait, un tailleur sur pierre. Moi j’ai cherché, j’ai été voir plusieurs tailleurs sur pierre, et ce qui était drôle c’est que presque personne ne voulait travailler avec moi et prendre le projet en main. Parce que pour eux ce n’est pas de la bonne gravure. Moi ce que je voulais c’est quelque chose de brut. Et les professionnels de voulaient pas faire ça. Ils voulaient faire quelque chose d’esthétique pour qu’on voie leur savoir-faire, etc.  Mais j’ai finalement eu de la chance, et je suis tombée sur un monsieur qui est tailleur sur pierre, à Flémalle. Il a plusieurs employés qui travaillent pour lui, et ils ont amené leur matériel. Ils ont travaillé pendant une semaine ou deux où il a fait beau, mais on avait peur qu’il gèle après. Mais il fallait que ce soit terminé pour la mi-mars. On a fait alors appel à une nacelle, pour monter jusqu’au-dessus. Je suis d’abord montée dedans. Et tout en bas, j’ai commencé à tracer à la craie, et puis avec eux, dans la nacelle, nous avons tous commencé à tracer. Puis ils sont revenus avec une machine pour le graver.

M&P : Donc ça a d’abord été tracé à la craie, puis ensuite gravé à l’aide d’une machine ?

M.Z : Voilà c’est ça, c’est vraiment taillé dans la pierre.  Je savais que j’allais utiliser ce motif-là, mais je ne savais pas du tout comment. Certains me demandent combien il y en a et je ne sais pas leur répondre. J’ai vraiment attaqué ça comme si je dessinais sur une feuille. J’ai fait une partie, je suis redescendue, j’ai regardé un peu pour équilibrer la chose. Et je voulais en faire de moins en moins vers le haut, pour montrer une variation.

M&P : A qui appartient-elle alors maintenant ?

M.Z : En fait la tour appartient à la commune de Flémalle, comme le fort.

M&P : Mais l’œuvre en elle-même alors ?

M.Z : Elle appartient aussi à la commune.

M&P : Elle ne vous appartient donc en rien à vous ?

M.Z : Hum, c’est une bonne question. Mon nom va être signalé mais je ne sais pas dans quelle mesure est m’appartient. De nom oui, mais pas matériellement. C’est quelque chose qu’on ne peut pas d’approprier. La tour appartient à la commune donc ce qui vient dessus appartient à la commune. Mais l’œuvre, comme moi j’ai été payées avec des droits d’auteurs, m’appartient symboliquement. C’est comme un architecte qui fait une maison, on le paye pour la maison mais après, elle ne lui appartient plus. Mais c’est vrai que c’est un peu différent, c’est une bonne question.  Dans un espace public, une œuvre permanente, et qu’est ce qui se passe après ? Je ne sais même pas dans quelle mesure je pourrais avoir accès, si on publie quelque chose de l’œuvre, à des droits d’auteur. Si j’aurais mon mot à dire. Ce n’est pas sûr.

M&P : L’œuvre a-t-elle plutôt été créée pour sa symbolique ?

M.Z : Qu’est-ce que vous en pensez ?

M&P : Plutôt une symbolique forte.

M&P : Il n’y a pas d’entrée à payer pour avoir accès à l’œuvre ?

M.Z : Non, aucune, l’accès est public. C’est à l’extérieur. On pourrait même dire que c’est quelque chose de très laid. Je suis intervenue exprès sur quelque chose de pas très attrayant. J’avais aussi envie de dire quelque chose sur un objet ou sur un édifice, qui n’est pas nécessairement esthétique et pourquoi pas lui apporter une plus-value. Le valoriser justement par ce biais-là. Je ne sais pas s’il est plus beau mais il a une vraie signification maintenant. Je sais qu’a un moment, les habitants ont voulu faire une pétition pour l’enlever, parce qu’il est fort abimé de l’autre côté. Je suis seulement intervenue uniquement de l’autre côté. Il embête beaucoup les gens, parce que c’est laid.

M&P : Pourquoi choisir une telle base pour réaliser une œuvre ?

M.Z : Je voulais montrer que ces cicatrices-là sont importantes toujours aujourd’hui.

M&P : On pourrait alors comparer les gravures à des cicatrices ?

M.Z : Oui peut-être, plusieurs personnes me l’ont dit. Je parlais d’abord des cicatrices de la tour en elle-même. Mais c’est ça que j’aime bien, les différentes interprétations des gens, comme ceux qui ne font pas du tout partie du monde artistique, et qui très vite, même si c’est quelque chose d’abstrait, comprennent le message.

M&P : Oui, donc elle n’est pas réservée à un public élitiste ?

M.Z : Non pas du tout. Mais ce n’est pas parce que ça s’adresse au plus grand nombre que c’est une œuvre commerciale. Et c’est ça aussi que j’aime dans ce travail. Ça peut parler à pleins de gens, et les toucher suivant leur vécu. Mais ça ne simplifie pas nécessairement la chose. Certaines personnes du milieu artistique ne vont parfois rien capter à la symbolique.

M&P : Parce qu’ils vont chercher trop loin dans les significations ?

M.Z : Oui, ou alors il y a quelque chose qui ne les a pas touché, ou qui ne passe pas. Ils ne se sentent pas concernés de la même manière.

M&P : Vous vous basez vraiment sur le sentimental alors ?

M.Z : Je dirais plutôt sur l’humain moi.

M&P : Avant de faire l’œuvre, vous aviez en tête de toucher un public spécifique ?

M.Z : La commande émane de la commune de Flémalle et du centre culturel, il voulait d’abord s’adresse aux gens de Flémalle. Car Liège a été un point clé lors du passage des allemands en Belgique.

M&P : On ne peut pas vraiment dire que l’œuvre a un prix alors, car elle relève du domaine publique ?

M.Z : Ici, non elle n’en a pas. Elle n’est pas vendable. Elle a eu un prix de fabrication, mais elle n’est plus commercialisable.

M&P : Pour revenir à votre parcours personnel, avez-vous fait des études spéciales pour devenir artiste, ou bien étais-ce une vocation ?

M.Z : Non, j’ai commencé très tard, j’ai eu un parcours où j’ai fait d’autres études avant. Un graduat en marketing, et j’ai travaillé pendant un an et demi. Mais ce monde-là ne me convenait pas. Je ne sais pas à quel moment j’ai décidé de me lancer dans une carrière artistique. Ça devait être là depuis longtemps, car ce n’est pas un choix qu’on fait comme ça. Je pense que j’ai toujours voulu faire quelque chose de moins concret. J’ai alors fait les Beaux-arts. Et ensuite une agrégation je suis professeur en même temps, depuis 4 ans. J’apprends aussi beaucoup, car pour chaque projet je me renseigne énormément. Je lis beaucoup de documentation sur le sujet.

M&P : Est-ce qu’il est facile de concilier vie professionnelle et vie d’artiste ?

M.Z : .Je pensais que tu allais demander vie privée et vie professionnelle, car ça s’est difficile. Mais pour moi vie professionnelle et artistique, c’est mélangé. C’est ça que j’aime bien aussi. Etre enseignant en arts permet d’avoir encore un pied dans le milieu. Mais il est vrai que tout ça ne laisse plus beaucoup de place à la vie privée.  Pour moi il n’y a pas de cassure entre vie professionnelle et artistique.

M&P : Avez-vous déjà réalisé beaucoup d’expositions ? Car on peut voir que vous en avez beaucoup de prévues

M.Z : C’est relatif. Là c’est vraiment une des rares fois où j’ai des grosses expos en peu de temps. Mais c’est souvent le cas, soit on en a plusieurs en même temps, soit il n’y a rien.

M&P : Pour ce qui est des expos personnelles, vous en avez déjà beaucoup à votre actif ?

M.Z : J’en ai déjà fait, mais beaucoup moins. 7 ou 8 peut être depuis 2005.

M&P : Est-ce que vous avez une œuvre phare dans votre travail. D’une importance particulière.

M.Z : Non, parce que je prends énormément de temps pour chaque œuvre. Pour le moment je fais plus des montages sonores, donc ça prend encore plus de temps. Je travaille souvent par série, et je peux parfois passer des mois et des mois sur une même série de peintures.

M&P : Il y a des thèmes que vous préférez aborder dans vos œuvres ?


M.Z : Je ne choisis pas nécessairement de thème à la base.  Je travaille par rapport à ce que je rencontre et rien n’est prévu. La notion de patrimoine revient souvent, l’attachement et le détachement. Le lien avec une histoire.

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