Les supporters de foot viennent de Mercure, les amateurs d’art de Pluton...
Comme j’ai pu l’expliquer dans mon précédent travail, un grand nombre de choses distinguent le football (et à fortiori le sport) de l’art contemporain. Si ce travail ciblait plus généralement ces deux domaines, j’aimerais cette fois observer les codes de chaque parties, les différences au niveau individuel afin de définir ce qui, au fond, caractérise et donc rends différent les amateurs d’art contemporain et les supporters d’une équipe de football. Pourrais-t-on initier chacun d’un à l’intérêt du second ? Seraient-ils prêt à franchir le pas ?
Tout d’abord, le supporter de base. La plupart du temps, il est assez extraverti, passionné et bon vivant (dans tous les sens du terme). Le football et son équipe préférée occupe une grande place dans sa vie et lui sert de lien social avec un grand nombre de ses amis. Qui se ressemble, s’assemble. C’est bien connu ! Un supporter est foncièrement de mauvaise foi (« C’est de la faute de l’arbitre qu’on a perdu ! »), borné et il a toujours un avis fort prononcé sur les choses (« Ou c’est blanc ou c’est noir ! », « Tu es avec le standard ou tu es contre le standard ! »). Le sentiment du « supportariat » en lui-même est pourtant une chose assez difficile à expliquer, à décrire, à quelqu’un qui ne l’a jamais vécu. Comme beaucoup de passions, il n’a pas forcément d’explication. C’est un engagement fort et totalement gratuit (le supporter n’a rien à y gagner, à part une satisfaction personnelle) envers onze bonshommes en short qui se disputent un ballon. La victoire de son équipe lui donne alors l’impression de faire partie de « la bonne moitié des gens », les vainqueurs. Le supporter vit en commun de grandes émotions liées aux résultats de son équipe. Il n’est pas rare de voir des hommes effondrés dans les tribunes après une défaite, aux anges après une victoire, en rare après une injustice ou tout simplement fier d’appartenir au « kop » (groupe de supporters fidèles) d’une équipe performante. Chacun de ses sentiments se vit d’autant plus fort en grand nombre.
L’intellectuel amateur d’art, quant à lui, est plus à l’aise dans un milieu tranquille, silencieux, propre à la réflexion. Sa passion exige de lui une concentration minimale afin de profiter de chaque occasion pour découvrir sensation, ouvrir une nouvelle piste de réflexion ou favoriser une prise de conscience personnelle. Le monde de l’art contemporain est un domaine assez peu populaire, l’intellectuel fait donc partie d’une petite élite. Il a tendance à analyser tout ce qu’il verra, à poser le pour et le contre, à faire usage de psychologie pour comprendre au mieux chaque situation. Toujours à la recherche d’une nouvelle expérience, l’intellectuel a développé, grâce a l’art, un sens de la remise en question et une ouverture d’esprit hors norme.
Qu’est ce qu’il se passerait si on les échangeait dans leur rôle respectif ? Un mauvais script de téléréalité, dites-vous ? Intéressant, tout de même… Le supporter dans une galerie d’art contemporain du type « white box », et l’amateur d’art dans la tribune kop du standard.
Ce dernier, sans être vraiment enchanté d’être là, prendra le tout comme une expérience de plus et se laissera prendre au jeu. Tant et si bien qu’il se pourrait que certains aspects, certaines émotions, certaines montées d’hormones lui plaise vraiment. Il est vrai après tout qu’une fête reste une fête. L’ambiance surchauffée, la poussée de fièvre lors d’un but, les accolades avec des inconnus à la fin des matchs sont autant d’expériences qu’il fera volontiers on y prenant, sait-on jamais, un certain plaisir. Il faut dire que regarder du foot ne demande pas de réel effort mental, pour peu qu’on connaisse les règles. Et relâcher sa cervelle de temps en temps de fait pas de mal ! Le supporter que l’on arracher à son stade bouillonnant pour le mettre chez Nadja Villenne se demande un peu où il est tombé ! Il a encore les oreilles qui bourdonnent, alors qu’il pose les yeux sur des œuvres d’art contemporain. Sans la moindre explication ou initiation aux codes pour le moins complexe qui régissent ce milieu, il ne comprend pas, et finit par ne pas voir l’intérêt. Comme tout le monde dans le même cas, il se lasse de ne pas comprendre et finit par rejeter ce qu’il ne trouve pas être de l’art (« Ce n’est pas beau, un gamin ferai la même chose que je ne l’applaudirai pas! »). N’ayant pas la même ouverture d’esprit que l’intellectuel, l’effort lui semblerait trop important à faire et il baisserait vite les bras. Il ne verra pas l’intérêt de remettre en question son credo ou ses gouts en matière d’art pour si peu. En revanche, avec quelques mots d’explication, il pourrait comprendre un peu la logique suivie par les artistes, et se rendre compte que ce n’est pas si insensé que cela, l’art contemporain (sans pour autant vouloir s’éterniser dans la galerie, il y est presque en apnée !).
Enfin, j’estime malgré tout que chaque mode de vie apporte à celui qui la pratique certaines qualités. Le supporter, par exemple, aura souvent un avis assez tranché sur les choses, son choix de partie est clair et net. Il est aussi très à l’aise en communauté. L’intellectuel, quant à lui, a développé un sens de la concentration et de réflexion assez poussé. Il est aussi capable d’une certaines remise en question de lui-même et de ses connaissances.
En conclusion, je pense que les deux parties ne ressentiront pas la même aisance à changer de milieu. S’intéresser à des choses qui, à priori ne nous intéressent pas n’est pas chose facile. Cependant avec un peu d’efforts et une certaine tentative de compréhension des mœurs d’autrui, on peut se rendre compte que cette personne n’est pas aussi farfelue qu’on le pensait. Cette saine tolérance mutuelle pourrait et devrait faire place au déni pur et simple de l’existence de l’autre qu’on ne peut que trop souvent remarquer.
Mario Di Miceli
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