Thomas
Lieben : Pourquoi avoir choisi le numérique
comme support artistique?
Tamara
Laï : Je venais de la vidéo (vidéo culturelle, art,
doc de création,...) mais j'ai bien senti un moment donné qu'il était temps,
que le vent tournait. Il était temps que je me recycle et que je me forme
justement à ces nouvelles technologies et c'est ce que j'ai fait en 93. Je l'ai
fait à titre professionnel d'abord et disons que personnellement j'ai du mal à
séparer l'un de l'autre qui évoluent toujours en parallèle, l'un nourrissant
l'autre. Donc j'expérimente à titre personnel sous forme d'œuvre. J'ai des
exigences, en tant qu'artiste, très professionnelles, je suis très exigeante (rires).
Donc pourquoi mais simplement parce que c'était dans l'air du temps et que
d'ailleurs ça s'est confirmé.
T :
Votre créativité évolue-t-elle également avec le numérique puisqu'il s'agit
d'un médium extrêmement versatile?
TL :
Oui tout à fait. J'ai beaucoup développé le côté collaboratif (projets collaboratifs, participatifs,...)
c'est-à-dire en lançant des appels non-nominatifs via le web en utilisant ce
qui à l'époque étaient déjà des réseaux, pas comme on les connait maintenant
mais c'était déjà la base. Et donc via tous ces forums, je lançais des appels
aux artistes internationaux confirmés ou émergeants, débutants, non-artistes
d'ailleurs, c'était très ouvert. Et euh... j'ai oublié votre question ! (rires)
T :
C'était "Votre créativité évolue-t-elle également avec le numérique
puisqu'il s'agit d'un médium extrêmement versatile?"
TL :
Oui et donc j'aime bien maîtriser toutes les étapes, aussi bien en vidéo que
dans le numérique. J'aime bien maîtriser un maximum d'étapes ce qui veut dire
que je me suis intéressée voire formée aussi bien à l'infographie en 2D qu'à la
3D donc fixe ou en mouvement, linéaire et l'interactif. Que ce soit le GIF, GIF
animé, tout ce qui est Photoshop, traitement d'images... Donc oui j'ai vraiment
suivi le mouvement y compris le java script donc j'ai vraiment fait en sorte – et
puis ça m'intéressait aussi, c'est amusant même si c'est difficile – de suivre
le mouvement. Ça ne m'a jamais effrayée, bien sûr il y a des obstacles, bien
sûr il y a tout le temps l'inconnu mais quand j'étais réellement face un
obstacle qui me semblait insurmontable pour moi en partant de mes acquis, mes
capacités – puisque la programmation ce n'était pas dans mes attributions du
tout –j'essayais de trouver des tangentes, de contourner avec le côté créatif
que cela implique. Quand c'est trop facile, on n’invente rien donc c'est
justement en butant contre des choses qu’on cherche des astuces et ça devient
original.
T :
Mais je suppose que ça s'est facilité au fil des années, puisque les outils ont
aussi évolués ?
TL :
Oui c'est ça mais je veux dire là maintenant j'ai développé, réalisé, maintenu
des sites web entre 97 et 2010. J'ai vraiment essayé d'en explorer toutes les
facettes et puis là maintenant ça ne m'amuse plus, tout simplement. Il existe
toutes sortes d'outils super intéressants, clé en main, gratuits, qui
permettent plein de choses alors... on va pas se fatiguer. J'utilise wix,
j'utilise des choses comme ça. Voilà, c'est fait, c'est même plus intéressant
d'utiliser ce qui existe et qui est très bien fait.
T :
Est-ce que pour vous l'art contemporain se doit d'être moderne, c'est-à-dire,
vu que l'art contemporain essaie beaucoup de nouvelles choses – surtout des
expériences – est-ce que justement on devrait privilégier des supports comme le
numérique plutôt que la peinture ou autre?
TL :
Non, pas du tout, en ce qui me concerne. La preuve, quand je suis revenue à la
vidéo... Bon, j'ai mon caractère et je n'aime pas suivre bêtement le mouvement
qui dit que justement maintenant il faut que tout soit numérique. Je me suis
dit "Oui, c'est bien rigolo, mais à la fin tout se ressemble", parce
que peut-on réellement se donner les moyens de faire des choses originales,
innovantes puisqu'on l’a fait beaucoup. Et puis j'ai l'impression qu'il y a
beaucoup de redondances et donc j'ai pris le parti de faire exactement l'inverse,
de faire de la vidéo avec des images on ne peut plus dépouillées, avec un
minimum de traitement pour que tout soit dans l'image, dans le contenu. Pour
que ce soit plus dans le rythme, dans le rapport image/son/rythme sachant très
bien que, évidemment, j'allais complètement à contre-sens de ce qui se fait
mais je me suis dit tant pis je fais ce pari là et je veux que mon travail
interpelle tel quel, sans faire appel à des effets spéciaux ou un minimum en
tout cas. Et bien ça fonctionne donc non, je ne suis pas pour le tout numérique
et je pense que quand c'est trop plastique d'ailleurs il manque quelque chose. Ça
ne veut pas dire qu'on doit privilégier l'un au détriment de l'autre, ce qui
fonctionne très bien c'est quand il y a un peu de tout, un équilibre mais c'est
difficile, c'est du boulot.
Mélanie
Sigaud : Dans votre biographie, vos œuvres
sont définies comme étant basées sur le principe de proximité à distance,
qu'entendez-vous par là?
TL :
C'est ce qui se passe maintenant, c'est ce que vous vivez tous, vous les
jeunes. C'est être à l'autre bout du monde et être en connexion permanente.
C'est un peu cette espèce d'utopie du principe d'ubiquité, être dans deux lieux
à la fois (le lieu physique et le lieu virtuel). Maintenant par rapport aux réseaux
sociaux tels qu'on les connait il faut bien dire que nous, les artistes
numériques, on a jeté ces bases là et quelque part – je vais peut-être être un petit peu méchante –
mais quand je vois – je ne suis pas très réseaux sociaux, justement peut-être
parce qu'ayant vécu ça beaucoup à l'époque où la bulle d'internet à exploser
c'est-à-dire autours de l'an 2000 – comment ça se passe sur Facebook, n'importe
qui s'improvise artiste à force de liens, de photos et de partage nous les artistes
web ça nous fait doucement sourire parce que je comprends que la tentation soit
là mais...
MS :
Dans la biographie à nouveau il est noté "Où l'art est social et que le
social est art", pensez-vous qu'il est important pour l'artiste
contemporain d'avoir une approche sociable avec le public?
TL :
Non, pas du tout. Mais disons qu'il faut replacer ça dans le contexte de
l'époque, c'est-à-dire il y a 15 ans à peu près et à l'époque effectivement il
y avait cet aspect social, pas dans le sens politique du terme. C'est-à-dire
qu'une œuvre fonctionnait à partir de l'apport et la conjugaison de toutes
sortes de personnes venant de toutes sortes d'horizons différents, avec des
niveaux différents, des expériences différentes, etc. Et c'est cette œuvre
social en fait qui était l'œuvre d'art donc dans ce contexte là, ça a un sens.
Là maintenant, en tout cas à mon niveau, ça n'en a plus.
T :
Pouvez-vous
nous en dire plus sur votre œuvre Looking for Qi ?
TL :
(Rire) Alors ça, c’est une longue histoire. Ça parle de ma passion pour les
arts martiaux chinois et le Taoïsme qui est une philosophie et un idéal de vie
qui est devenu religion et qui puise ses racines dans le Shamanisme. C’est
réellement la base de l’esprit chinois. Cela prône un équilibre Yin-Yang. Un
équilibre corps-esprits. Les arts martiaux chinois sont donc basés là-dessus et
sont censé favoriser la bonne circulation de l’énergie vitale. Je pratique les
arts martiaux chinois depuis maintenant 14 ans et ce Looking for Qi c’est ce
voyage que je peux réellement dire initiatique, je le voulais comme cela, en
chine et plus particulièrement dans une école d’arts martiaux.
T :
L’œuvre est séparée en plusieurs parties, pourquoi cela ?
TL :
C’est la façon dont je fonctionne, il y’a toujours ce côté reportage
relativement neutre et puis le côté interprété avec différents outils artistiques.
Il y’a donc un côté plus théorique dans lequel j’essaye d’apporter des clefs et
puis j’interprète (rire). Alors pourquoi la séparation ? Eh bien, c’est
plutôt arbitraire.
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