Nous
avons remarqué que les visages que vous prenez sont en fait des
visages que l'on voit dans des pubs de marques. Pourquoi avez-vous
fait un lien entre ces deux arts ?
Tout d'abord, il faut
savoir que ces statues-ci viennent de l'ancienne prison Saint-Léonard
qui n'existe plus.
*Elles
viennent toutes de la prison ?
Non, d'autres viennent
d'églises désaffectées autour de Liège, les statues sont stockées
dans la réserve du Grand Curtius, car ce n'est pas un art muséal.
Elles appartiennent à la culture religieuse de la fin du XIXème
siècle. On appelle cela un art saint-sulpicien. Je suis allée les
cherchés dans l'Eglise Saint-Gerard dans laquelle il y a une
réserve. Ce n'est pas comme l'art baroque, c'est un art qui n'est
pas reconnu par le monde muséal parce que c'est un art de grande
distribution. Il est très critiqué et a été repoussé par le
Vatican II sous prétexte que c'était vraiment trop sentimental,
trop kitsch. Que ce soit les amateurs d'art, les historiens de l'art
ou quoi que ce soit, ils ne voulaient plus de cet art là. En
rapprochant cela avec l'imagerie publicitaire actuelle ça a un sens
aussi vu qu'il y a beaucoup de paillettes etc.
J'ai donc d'abord
commencé a photographier des sculptures en gros plan, mais
uniquement leurs visages pour éliminer tous les attributs religieux
(les croix, les roses, les couronnes, l'immaculée conception). Je me
suis intéressée aux figures très stéréotypés de la femme, les
maquillages etc. Par exemple, c'est toujours la même femme qu'on
dessine lorsque l'on est enfant c'est-à-dire deux yeux un nez, une
bouche. Tout comme dans la publicité, c'est pour cela que je me suis
concentrée sur le visage tout en laissant de petits bouts de voile.
J'ai cherché des images dans la publicité sur internet qui est
aussi un art de reproduction comme les statues de saintes. Certaines
sont pareilles par le moulage, c'était seulement la peinture qui les
différenciaient.
*Nous
croyons avoir reconnu une des stars, Marion Cottilard.
De fait, au premier
regard, on ne sait pas directement reconnaître les stars. Je choisis
des stars connues comme des stars de défilés qui sont représentés
avec des yeux de poupées. Ensuite, j'ai cherché une image sur
internet qui ressemblait le plus au visage de la sainte et puis j'ai
essayé de faire tout pour qu'il y ait une même esthétique, même
lumière, même couleur, même maquillage. Pour moi, internet est une
poubelle d'image dans laquelle on peut prendre ce que l'on veut et
les statues sont elles aussi considérées comme des poubelles
puisque personne n'en veut, on peut le voir sur les visages des
statues par l'état de la peinture étant donné qu'elles n'ont pas
été restaurées. J'ai reprit les visages des égéries, puis je les
ai transformés au niveau des pixels pour former une image
publicitaire afin que ce se soit une copie conforme même s'il y a
quand même des détails qui restent et qui ne sont pas semblables,
comme les dents, car je ne veux pas la perfection. Ce n'est pas un
truc de Photoshop où on rend vrai, je n'ai pas essayé de rendre
humaine la sculpture. Je me suis concentrée sur l'intérieur du
visage, tout ce qui est autour je l'ai laissé tel quel pour avoir
une trace du Photoshop et des collages. Ça m'a pris beaucoup de temps
pour trouver les photos qui ressemblaient aux vierges, un an et demi
exactement pour finir cette série.
Ce qui est amusant avec
les mannequins quand on ne fait pas partie du domaine c'est qu'il
s'agit de filles très connues puisque maintenant le monde de la
publicité engage de plus en plus d'actrices. Le monde de la pub se
donne de plus en plus un côté Arty. L'art sert alors à anoblir
une démarche mercantile donc c'est quand même une démarche très
commerciale et comme il y a l'art derrière ça lui donne une plus
valu. Quand Marion Cotillard pose pour Dior, elle porte derrière
elle tout son talent. Kate Winsley est l'actrice la plus retouchée,
donc pleins de photos d'elle sont sur internet et elle n'est jamais
la même et un jour elle s'est énervée. Sur mes œuvres, on peut
clairement voir que ce n'est pas vraiment réaliste. Quand on compare
celles-ci et celles sur internet, celles-ci (les siennes) sont moins
Kitsch. Les gens se laissent porter par le Kitsch, ils aiment ça,
ils sont portés par le parfait etc. Parfois, il y a du texte sur les
images que je prends sur internet et alors je le laisse.
Faire revenir cet art là
comme culture muséal est un renouveau pour l'art saint-sulpicien.
De même que faire venir des publicités dans des musées peut
rivaliser avec des images sacrées. Dans l'art il y a une sorte de
sacralisation de l'objet, de l'image, qui lui donne une plus valu.
Au premier abord, la ressemblance est frappante et c'est ce que je
voulais parce qu'il y a quand même un siècle de différence entre
les deux images.
*Vous
avez quand même garder les mêmes yeux ?!
La forme des yeux oui,
tout est copié au pixel près, on peut mettre les images l'une a
côté de l'autre et elles se ressemblent, mais pas assez pour que ce
soit bluffant et que les gens soient surpris et ça, c'est de l'art
plastique.
C'est en quelque sorte
une chirurgie de l'image. Toute la technique c'est ça, du Photoshop
et j'ai remis une couche sur ça parce que ce sont des visages qui
sont déjà retravaillés, on dirait des poupées. Mais tout est faux
que ce soit l'une ou l'autre. L'art saint-sulpicien était un art de
conquête qui devait plaire, devait attirer les gens comme on vend
maintenant les parfums avec les égéries. C'était tout un commerce.
*Pourquoi
avoir choisi ce thème là ?
Pour qu'on soit libéré
de la religion. Au niveau de la croyance, on va croire en la sainte,
mais on va aussi croire en la publicité. Et dans la religion il y a
une morale. Ce qui m'intéresse c'est interroger, qu'est-ce que la
morale de la religion et de la pub, est-ce que la femme est soumise ?
Les modèles actuels c'est une femme libre, libérée de la religion
dans un monde d'hommes, mais avec ce matraquage publicitaire on voit
quand même beaucoup de clichés, de stéréotypes d'une femme
soumise. On a qu'à écouter une interview d'une star, on va souvent
entendre ses rituels beauté, comment elle se maquille, comment elle
s'occupe de ses enfants, au lieu de parler de son art, comment elle
se pense dans la société et donc ça véhicule quand même toujours
des clichés qui sont rétrogrades. On voit toujours dans les médias,
la minceur, la chirurgie esthétique, il faut qu'elle soit tout le
temps parfaite. Et tout le monde se laisse prendre par cette dictate
du corps, ce culte du corps, en particulier féminin.
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